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Un gilet en peau de zouzou
3 août 2011

Et le zouzou se déplia

Au début, le zouzou était tout plié.

Il se passait beaucoup, beaucoup de choses à l'intérieur. Et il y avait déjà beaucoup de choses autour, sans le chaud et le sombre du ventre. Le zouzou fatiguait vite. Il mangeait souvent. Et il fallait digérer tout ça, les événements, le lait de maman. Angoisses existentielles et mal au bidon. Il se passait beaucoup, beaucoup de choses à l'intérieur. Alors forcément parfois, pleurs inconsolables le soir à l'heure du loup au fond des bois.

Puis le zouzou découvrit le plafond.

Il lui arrivait d'ouvrir un peu les yeux, et puis un peu plus. Et le plafond était très intéressant. Et la bibliothèque aussi, un peu, derrière l'épaule de maman ou de papa. Très intéressant. Il s'est tout de suite bien entendu avec le plafond. C'est au plafond qu'il a adressé ses premiers sourires. Au plafond ses premiers discours.

Bon, il a bien un jour découvert son père et sa mère des yeux. Il savait déjà tourner la tête, hein, ça dès très vite hein : contact sur la joue = tourner la tête des fois qu'il y aurait à téter.

Donc le sein, le chaud des bras, et quelques figures connues au loin : le plafond, la bibliothèque, des gens.

Un jour, le zouzou découvrit les surfaces. Ses petites mains tâtaient du bout de ses petits ongles le cuir d'un fauteuil ou le tissu du canapé ou la peau des bras. Surface. Matière.

A un moment, il y a eu des objets, petits jouets pendus au portique ou tendus par des êtres venus en amis et tentant d'établir le contact. Manipuler, attraper, manipuler.

Quand le zouzou a-t-il pu se retourner ? Passer du face-à-face avec le plafond à l'envers du décors côté couverture ? De la verticalité de la contemplation du ciel au dessus de sa tête à l'horizontalité de la surface en dessous de soi (et la verticalité de la chute du lit dont le bord était beaucoup trop près, heureusement la moquette aussi, assez près) ?

Les gens et les objets se rapprochaient, se coloraient, l'univers se peuplait.

Nouvelle dimension quand le zouzou a pu participer au rapprochement-éloignement des objets. Au début, ce fut plutôt l'éloignement. Le zouzou poussait sur ses mains... et reculait. Il faut dire que l'adversité l'entourait d'un parquet lisse et glissant.

L'horizontalité a vu alors ses frontières reculer, l'horizontalité s'est dotée d'un horizon, de perspectives (d'exploration), et de beaucoup d'obstacles.

L'univers est devenu pièce et appartement - ce qui pourrait apparaître comme un certain rétrécissement, mais il s'est également doté de nombre de recoins, et dans chacun de ces recoins, de tas et tas d'objets, de tas et tas de rencontres imprévues et excitantes (ici, pile de livres, là de cd, ici rouleaux de papier cadeau, là tongs de papa - mmh, bon à manger, ici, et là encore, et là ailleurs...) Et hors de l'appartement, lumières, couleurs, et gens, pleins de gens. Dès que la co-présence se prolongeait, le zouzou fixait l'impudent qui ne lui avait pas encore rendu hommage d'un regard. Et toujours le zouzou gagnait. Car celui qui s'obstinait à l'ignorer se voyait à son tour fixé par ceux qui les entouraient. Il n'avait aucune chance.

La découverte de la cuillère, des premières purées, le zouzou n'en fit qu'une bouchée, presque pas une étape, pas encore.

Mais à peine découvert la marche avant, par une technique de rampage progressivement mise au point jusqu'à devenir le GI-joe des parquets glissants, le zouzou s'est entraîné à tendre bras et jambes, pont, petit pont, et patapon, pertes d'équilibre et rétablissements impromptus.

Un jour, il marcha. A quatre pattes. (Ok, on brûle des étapes, mais ici, c'est chronique d'un (extraordinaire) zouzou ordinaire - pas d'un wonderzouzou, même si c'est un zouzou merveilleux). Le zouzou savait déjà avancer, déjà s'orienter vers les objets désirés, déjà explorer une à une les pièces de l'appartement. Pourquoi est-ce si incroyable, comme de voir Lazare se lever et marcher. La marche à quatre pattes, comme un début de mouvement vertical dans l'horizontalité.

Et puis surtout : vingt centimètres de portée de main supplémentaire.

"Le zouzou explorait les pièces", il aurait fallu dire : "explorait le SOL des pièces". 20 cm de plus et l'univers se peuple encore d'objets supplémentaires attrapables. 20 cm qui deviennent bientôt 30, quarante. Le zouzou s'accroche, se hisse, attrape.

Un jour, vous entrez dans sa chambre en l'entendant pleurer, et il est debout dans son lit, accroché au rebord. Le zouzou est debout, le zouzou est levé - il va falloir maintenant enlever stylos, télécommandes et téléphone de la table basse. Le zouzou est levé. Le zouzou est debout. Le zouzou peut vous supplier de rester et manifester son refus de dormir, debout, accroché aux barreaux. Le zouzou est DEBOUT.

D'autres êtres sont encore entrés dans son univers. Au parc, alors qu'il gambadait fièrement à quatre pattes sur la pelouse, se laissant admirer par les badauds, le zouzou a vu un pigeon. Et l'instinct a entraîné le zouzou dans la lutte atavique qui oppose les zouzous et les pigeons. Le zouzou a couru, le zouzou s'est emmêlé les pinceaux, le zouzou a mordu l'herbe. (Le pigeon envolé depuis longtemps). Pleurs, surprise et vexation du corps qui fait défaut, même pas mal dans les bras de maman, mais pleurs quand même. Et recommencer.

L'univers se peuple, d'autres dimensions s'ouvrent dans l'univers, le zouzou court tout entier dans l'exploration des possibles, et de là, toujours un peu plus loin. Le zouzou était plié, le zouzou se déplia, se déplia encore, et se déplie toujours, toujours un peu plus grand.

 

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